Le courage du mouton by Claude Daigneault

Auteur:Claude Daigneault [Daigneault, Claude]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Littérature québécoise
Éditeur: la Caboche
Publié: 2012-08-04T22:00:00+00:00

Les jours s’égrenaient et la situation de La Galette de Séraphin demeurait déprimante. En pleine saison des vacances annuelles, en particulier celles de la construction, la clientèle s’effilochait. Paul-Émile et Madeleine, Hubert et Mathilde étaient les rares Pitonneux à venir petit-déjeuner de temps à autre.

Léon Gingras filait un mauvais coton. Même Rachel parvenait de moins à moins à faire sourire son père. Il passait la majeure partie de ses journées au fond de la cuisine à chercher une façon de s’occuper, à faire des inventaires sans importance, à vérifier la propreté des couverts, à laver la machinerie en cas de visite impromptue d’un inspecteur de la ville, à frotter des chromes déjà reluisants.

Il avait songé à mettre F.-M. au chômage, mais y avait renoncé, sous la pression de Rachel qui lui proposa plutôt de prendre lui-même des jours de vacances, d’en profiter pour aller rendre visite à la parenté du Bas-du-Fleuve qu’il ne voyait que très rarement.

— Ça va te faire du bien, papa. Tu vas revenir tout ragaillardi. L’air marin va te redonner des couleurs.

Léon bougonna quelques jours, puis à court d’arguments invraisemblables contre la suggestion de sa fille, il finit par dire, de mauvaise foi :

— T’as l’air tellement pressée de te débarrasser de moi… Je pense que je vais partir quelques jours. Comme ça, je risque peut-être d’avoir un accident d’auto, pis vous m’aurez plus dans les pattes, toi et François.

— Papa ! C’est odieux ce que tu dis là. Cesse de jouer au petit martyr ! C’est à ta santé que je pense. T’es en train de la détruire à cause d’une mauvaise passe au restaurant. On a déjà traversé des périodes creuses sans tout lâcher. J’ai besoin d’un père en forme à côté de moi à l’automne, pas d’un chiâleux qui fait brûler les œufs sur la plaque. Et mêle pas François à nos problèmes ; c’est grâce à lui que le restaurant est mieux connu et…

F.-M. poussa la porte de la cuisine au même moment.

— Vous devriez peut-être jeter un coup d’œil dans la rue.

— Pourquoi ? lança Léon sur un ton aigre.

— Ça vous concerne.

Léon suivit Rachel et F.-M. de mauvaise grâce jusqu’à l’une des vitrines de la devanture. Il blêmit.

Ludmilla, toujours affublée de son inénarrable costume, les jumelles Lalancette, la tête couverte de leur foulard à motif écossais, et Jérôme Bissonnette, vêtu de son simili-clergyman, tenaient une marche de protestation en chantant l’hymne que leur avait enseigné leur prédicatrice.

Sœur Soja distribuait aux passants des feuillets imprimés sur du papier vert pâle, tandis que les trois autres zigotos brandissaient mollement des pancartes sur lesquelles on lisait des slogans : « Honte au cholestérol ! », « Le végétalisme : pas pour les chiens ! », « À bas le gras ! ».

— J’vas leur en donner du gras, moi saint-cybole de tabaslak !

— Laissez-moi y aller à votre place, M. Gingras, lança F.-M. Il faut éviter tout affrontement qui nuirait à la réputation du restaurant.

— Il a raison, papa. Attendons de voir si François peut les raisonner.

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